Un loup dans une famille

Spécialiste des oiseaux et des manchots, grand observateur des animaux sauvages en pleine nature, rien ne destinait Pierre Jouventin à vivre avec un loup en captivité, qui plus est dans un petit appartement.

L’éthologue a pourtant passé cinq années avec une louve, en plein centre-ville de Montpellier, de 1975 à 1980. Aujourd’hui retraité, il a raconté cette histoire longtemps restée secrète dans un livre paru en 2012 : « Kamala, une louve dans ma famille » (Flammarion-NBS, 343 pages, 21 euros). Pierre Jouventin a donc été à la fois le témoin direct de l’extinction massive des espèces qui est en cours et l’acteur d’une rarissime cohabitation entre un homme et un animal sauvage.


Rue89 : Dans « Kamala, une louve dans ma famille », vous racontez avoir vécu pendant cinq ans avec une louve dans un appartement. Pouvez-vous expliquer comment tout ça a commencé ?

Pierre Jouventin : C’est une histoire de fou, tout à fait involontaire.
Je travaillais sur les animaux sauvages dans la nature, uniquement en pleine
nature, notamment en Antarctique. Un jour le directeur du zoo de Montpellier,
que je connaissais bien, m’a téléphoné et m’a dit : « On va devoir piquer des
louveteaux, personne n’en veut ;
je sais que votre épouse est une amoureuse des loups,
que c’est votre métier,
je pense que vous seriez capable de prendre une petite louve. »

Pourquoi était-ce « terrible » ? Qu’est-ce que cela implique au quotidien de vivre aux côtés d’un loup ?

Un loup, ça vous casse un manche à balai avec les dents. Vous ne pouvez pas lutter physiquement avec un loup. S’il vous plaque au sol avec sa patte vous ne pouvez plus bouger. Il a une telle volonté et il est tellement roublard que si vous lui fermez une porte et qu’il veut passer, il la casse. Ce n’est pas comme un chien à qui vous dites « tu fais pas ça ». Mais je connais les animaux grâce à mon métier, et j’ai eu cette chance que ma femme soit très douée avec les animaux donc on a pu s’en sortir.

Vous estimez que le chien descend donc du loup ?

C’est une intuition qui a été confirmée récemment grâce à la génétique. On croyait, à la suite de Lorenz et Darwin, que le chien était un croisement entre un chacal et un loup. Mais ils se sont plantés. L’analyse ADN nous l’a montré, le loup et le chien sont extrêmement proches.

Cela confirme que le chien descend du loup mais surtout que c’est l’homme qui a sélectionné les loups les moins agressifs, de génération en génération. Petit à petit, il est arrivé au chien, par sélection.

Ce n’est en fait pas très compliqué à faire, il y a un généticien russe, Dmitri Beliaïev, qui l’a fait avec des renards sauvages ; en huit générations il les a transformés en toutous. Les oreilles tombent, la queue devient en trompette, ils recherchent la présence de l’homme. Bref, on peut dire qu’un chien c’est une sorte d’ado, un loup qui ne deviendrait pas adulte. D’ailleurs, on voit qu’il lui manque un tiers de cerveau par rapport au volume de celui du loup.

Article de " L'OBS avec Rue 89 "